Décidément, c’est un peu sa fête ! Après la proposition de loi de la député UMP Laure de la Raudière il y a quelques jours, la neutralité du Net se retrouve une nouvelle fois devant le Parlement. Cette fois-ci, c’est le gendarme des télécoms (Arcep) qui s’y colle, en présentant aux élus et au gouvernement un rapport [PDF] prévu de longue date.
Sur le fond, le document de 134 pages diffère peu de la version présentée au public en mai dernier (lire notre analyse sur le sujet : “Le régulateur se remet à la neutralité du Net”). Plus offensif qu’il y a quelques mois, le régulateur des télécoms ne se montre pas toujours tendre avec les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), dont les pratiques et les modèles d’avenir sont ” susceptibles d’entraver, dans certaines circonstances, le principe de neutralité de l’internet” (p.5).
L’Arcep se garde bien néanmoins de se prononcer explicitement en faveur d’une loi protégeant la neutralité du Net. Pas folle la guêpe ! Enlisée dès la rentrée dans un projet très politique de rapprochement avec le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, elle évite soigneusement de pénétrer dans un territoire qui ne serait pas le sien -et qui lui vaudrait quelques coups de tatanes. Tout en rappelant dans un même mouvement subtil son utilité et son périmètre d’action. Pour un résultat mi-figue, mi-raisin.
S’il ne se démarque pas par son engagement, le rapport de l’Arcep a néanmoins le mérite d’être pédagogique. Un bien nécessaire pour des élus souvent dépassés par les enjeux complexes du réseau.
Ce débat porte essentiellement sur la question de savoir quel contrôle les acteurs de l’internet ont le droit d’exercer sur le trafic acheminé. Il s’agit d’examiner les pratiques des opérateurs sur leurs réseaux, mais également leurs relations avec certains fournisseurs de contenus et d’applications. Peuvent-ils bloquer des services, ralentir certaines applications, prioriser certaines catégories de contenus ? Doivent-ils au contraire s’en tenir strictement au respect du principe d’égalité de traitement propre au « best effort » originel des concepteurs de l’internet ?
Définition de la neutralité, forces en présence, avancées des travaux en Europe comme en France : l’Arcep dresse un panorama assez complet des implications économiques et techniques du concept de neutralité, qui affirme que “les réseaux de communications électroniques doivent transporter tous les flux d’information de manière neutre, c’est-à-dire indépendamment de leur nature, de leur contenu, de leur expéditeur ou de leur destinataire.”
Une notion qui, “bien qu’elle n’ait pas à ce stade fait l’objet de dispositions légales, réglementaires ou même de stipulations contractuelles” écrit l’Arcep, sous-tend le fonctionnement d’Internet depuis ses débuts. Mais avec des utilisateurs toujours plus nombreux, et des services toujours plus gourmands en bande passante (streaming audio, vidéo, jeux en ligne…), certains acteurs souhaitent bousculer ce fonctionnement tacite :
D’une part, les opérateurs soulignent la pression que fait peser la croissance soutenue des trafics sur le dimensionnement des réseaux ; d’autre part, les utilisateurs (internautes comme fournisseurs de contenus et d’applications) rappellent tous les bénéfices tirés d’un modèle neutre, notamment le foisonnement d’innovations et d’usages qu’il a entraîné, et attirent l’attention sur le fait qu’une atteinte aux principes de fonctionnement de l’internet pourrait remettre en cause son développement.
Guerre de cyber-tranchées dans laquelle l’autorité des télécoms s’abstient de trancher. Même si elle égratigne, dans un vocabulaire arcepien certes mesuré, quelques arguments et projets commerciaux des opérateurs.
Elle évoque ainsi le risque d’apparition d’un “Internet à deux vitesses”, où le ralentissement ou le blocage de certains contenus “susceptibles d’entraver, dans certaines circonstances, le principe de neutralité de l’internet.” De même, elle s’inquiète de la mise en place “d’offres premium”, pratique “d’autant plus efficace pour un FAI que la qualité de service associée à l’internet «best effort » est basse”, souligne l’autorité.
Le gendarme des télécoms s’abstient néanmoins d’aller au-delà des prérogatives qui sont les siennes. Et justifie sans arrêt ses prises de position, notamment en rappelant le pouvoir que lui confie l’Europe via le Paquet Telecom : le “règlement de différends” qui pourraient apparaître entre les FAI et des sites Internet, ou “la fixation d’exigences minimales de qualité de service.”
Rien de plus ! L’Arcep la joue bonne élève et déclare :
Il appartient désormais au Parlement et au Gouvernement de déterminer les suites qu’ils souhaitent donner à ce rapport.
A peine se permet-elle quelques incartades, afin de mettre en avant ses efforts dans les quatre chantiers qu’elle a mis en place sur la transparence des offres des FAI, la qualité de leurs prestations, la gestion de trafic et l’interconnexion entre les acteurs du Net.
Ou pour rappeler à Orange, Free, SFR, Bouygues et compagnie qu’ils “n’ont pas à prendre l’initiative du contrôle de la légalité des contenus qu’ils acheminent.” Précisant néanmoins en préambule que ces “questions sociétales et éthiques [..] relèvent du législateur, du juge et d’entités administratives autres que l’ARCEP.”
Ou encore pour inviter, toujours avec force pincettes et humilité, le Parlement à renforcer certaines de ses fonctions. Ainsi dans le cadre de l’observatoire de la qualité de l’accès à l’Internet fixe, elle suggère au Parlement, “s’il l’estime utile” bien sûr, “de donner à l’ARCEP les moyens juridiques et financiers pour mesurer de façon plus indépendante les indicateurs de qualité de service.” Une décision qui lui “appartient”, évidemment, dans un dossier où l’éventualité de tricheries de la part des opérateurs a été pointée bien des fois. Subtile art de feindre de ne pas y toucher.
Une position qui a de quoi agacer. Du côté du collectif de La Quadrature du Net, Benjamin Sonntag lance :
Il faut mettre fin à ce jeu de dupes qui depuis trois ans consiste à empiler les rapports et les déclarations en faveur de la neutralité, tout en se refusant à inscrire dans la loi ce principe fondamental.
Il faut dire que l’autorité marche sur des œufs.
Côté européen, elle doit composer avec la position de Neelie Kroes, qui ne se démarque pas par une démarche proactive en matière de neutralité du Net, et celle du régulateur européen, le Berec, qui se montre un poil plus déterminé.
Côté français, c’est encore pire : la sortie d’Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, cet été, contre les décisions jugées trop “politiques” de l’Arcep pendant l’affaire Free mobile, a laissé quelques plaies. Largement rouvertes par le projet de rapprochement avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (traduite en simple “évolution de la régulation de l’audiovisuel” en langage arcepien), lancé à la rentrée par le gouvernement, et qui s’apparente à une sanction politique.
Sans compter que le cabinet de Fleur Pellerin a fait savoir qu’il ne désirait pas se lancer dans une loi sur la neutralité. S’en tenant au statu quo, et renvoyant au régulateur des télécoms en cas de problème. Il ne serait donc pas opportun pour ce dernier de s’opposer, même subtilement, à cet avis, qui va (pour une fois) dans son sens…
La transparence plutôt que la protection. En ce qui concerne la neutralité des réseaux, Neelie Kroes, la commissaire européenne en charge des questions numériques, se veut très claire : “vous n’avez pas besoin de moi ou de l’Union Européenne pour vous dire pour quel type de forfaits Internet vous devez payer”, peut-on lire sur un billet posté le 29 mai sur son blog. En bref, ne comptez pas sur l’Europe pour protéger ce principe, aux soubassements même d’Internet, qui assure que chaque contenu soit traité de façon égale dans ses tuyaux.
Cette ligne, particulièrement mise en avant ces derniers temps, est donc confirmée. Et ce même si des entorses à la neutralité viennent d’être constatées par le très sérieux Berec (Orece en français, Organe des régulateurs européens des communications), le régulateur européen des télécoms. Selon les résultats d’une enquête sur la gestion de trafic sur Internet, menée de concert avec la Commission, “au moins 20% des usagers européens expérimentent des formes de restriction de leur capacité à accéder aux service de VoIP [NDLA : services de voix sur IP, tel que Skype] sur mobile.” Une limitation qui pourrait même atteindre “la moitié des utilisateurs en Europe”, a ajouté Neelie Kroes, suite à la publication de l’enquête. Le peer-to-peer, protocole qui permet d’échanger du contenu entre utilisateurs, est également concerné.
Pour autant, hors de question pour la Commission d’intervenir en conférant à la neutralité une portée normative et contraignante. “Je n’aime pas intervenir sur des marchés compétitifs sans être certaine que c’est la seule façon d’aider les consommateurs ou les entreprises.” Pour remédier au problème, Neelie Kroes plaide pour la clarté :
Je n’ai pas lu toutes les pages du contrat de mon forfait mobile et je parie que vous non plus ! Je crois que nous avons tous besoin d’une information plus transparente.
Résultat, les opérateurs sont sommés de bien vouloir rendre leurs offres plus lisibles.
Trois volets sont particulièrement concernés. La vitesse réelle des connexions d’abord, y compris au moment des pics de consommation. Quand trop d’internautes squattent sur le réseau, par exemple en fin de journée, les fournisseurs d’accès à Internet peuvent être tentés de bricoler pour désencombrer et faciliter l’écoulement des données. En restreignant, par exemple, le téléchargement sur peer-to-peer. Près de 20% des opérateurs appliquent ce genre de limitations en Europe, a encore indiqué Neelie Kroes.
Les limites des forfaits, ensuite. Une clarification sur le seuil à partir duquel votre accès à Internet est limité, ralenti, voire même interdit/ Selon la commissaire européenne, “des plafonds de données clairs, quantifiés, valent bien mieux qu’une vague politique de ‘fair use’ qui laisse trop d’amplitude à l’interprétation des FAI.”
Et enfin, la qualité de l’offre : s’agit-il ou non d’Internet ? Ou simplement d’un accès à une poignée de sites populaires, tels que, Facebook, Twitter ou encore Spotify ?Il s’agit ici d’éviter l’effet Canada Dry : “si ce n’est pas de l’Internet, cela ne devrait pas être marketé comme tel” a affirmé Neelie Kroes. Se montrant néanmoins timide quant aux modalités. “Peut-être [que l'offre] ne devrait pas être du tout présentée comme de l’Internet”, a-t-elle avancé, avant de se modérer : “du moins pas sans aucune réserve claire.”
Ces actions feront l’objet d’une recommendation de la Commission européenne, indique Neelie Kroes, “afin de mettre un terme au jeu de l’attentisme de l’Europe sur la neutralité du net” – attentisme qui lui a été longtemps reproché.
La décision a donc tout d’une bonne nouvelle pour les consommateurs, qui se font parfois piéger par l’opacité des FAI. Elle risque néanmoins de se retourner contre eux : à quoi bon avoir des offres transparentes si aucune d’entre elles ne propose un véritable accès à Internet ? Ou s’il n’existe qu’à un tarif exorbitant ?
Pour rappel, c’est le scénario pour lequel a opté le Royaume-Uni, où les opérateurs font preuve d’une grande transparence sur leurs pratiques. Tableaux, glossaires… tout est là pour y voir clair. Ainsi le FAI Plus Net, qui explique différencier la qualité de ses prestations en fonction des services (voix sur IP, jeu en ligne, peer-to-peer, mail..), de l’heure… Et évidemment de la somme que l’abonné est prêt à engager. Internet est alors saucissonné selon différents services, plus ou moins bien traités en fonction de votre propension à payer. Travaillez chez soi, jouer en ligne, deviennent alors un luxe. Et l’Internet neutre, un lointain souvenir.
Neelie Kroes n’en démord pas pour autant. Et enfonce le clou à la fin de son communiqué :
Je ne propose pas néanmoins de forcer chaque opérateur à fournir un véritable Internet : c’est aux consommateurs de quitter le navire. Si les consommateurs veulent des réductions parce qu’ils n’utilisent que des services en ligne limités, pourquoi les en empêcher ?
L’option britannique a donc fait du chemin dans l’esprit de la commissaire. Pour a priori s’y installer confortablement. Quitte à laisser les consommateurs au bord du chemin. Car si l’on en croit Neelie Kroes, d’eux seuls dépend aujourd’hui le futur profil d’Internet. Mais le choix des usagers ne pourra aller puiser que dans les offres que les opérateurs façonneront à leur guise. La transparence risque de ne pas suffire. Le rapport de forces est inégal : le consommateur lambda a autre chose à faire que de veiller à ce que les FAI leur fournissent un accès à Internet véritable. C’est aux institutions de le faire. En se déchargeant de la responsabilité de contrôler le marché des télécoms, se pose alors grandement la question de leur utilité.
Un subtil travail de définition. À l’occasion de la World Wide Web Conference qui se tient actuellement à Lyon, la commissaire européenne en charge des affaires numériques Neelie Kroes a livré ce matin sa vision d’un Internet “ouvert”. Ou plus exactement, les multiples variantes de ce qu’elle entend par “être ouvert en ligne”, pour reprendre l’intitulé de son discours. Résultat : l’ouverture du réseau doit certes être préservée, mais à certaines conditions. Qu’elle fixe.
Après avoir rappelé son attachement à l’ouverture d’Internet, en déclarant dès la première phrase du discours qu’il s’agit “de la meilleure chose” en matière de réseau, Neelie Kroes vient rapidement modérer son propos :
L’ouverture est aussi complexe car sa signification est parfois peu claire.
Car si les bénéfices d’un Net ouvert font consensus dans certains cas, dans d’autres, plus clivants, ils sont plus contestables. Ou tout du moins, sujets à caution de la commissaire européenne. L’Open Data, ou les révolutions arabes, référence désormais incontournable pour tout politique souhaitant aborder publiquement la question numérique, figurent ainsi clairement dans la case “l’ouverture c’est chouette” de Neelie Kroes. Sans qu’un problème de définition ne se pose : dans ces cas-là, “les bénéfices de l’ouverture sont clairs.”
Dans d’autres, ceux qui sentent généralement le soufre, ce“n’est pas si simple”. Ainsi les questions de propriété intellectuelle, de sécurité ou d’accès à Internet. Sur tout ça, il s’agit subitement :
[De devoir] être clairs sur ce que nous entendons par ouverture.
Pour Neelie Kroes, l’ouverture mêlée aux droits d’auteur revient à s’ouvrir “à différents business models”. En clair, “ne pas offrir quelque chose pour rien”. Et si la commissaire européenne concède que certains créateurs veulent être reconnus d’une autre façon”, elle affirme aussi que “parfois, la meilleure façon pour les créateurs de tirer profit [de leur travail] est d’en faire payer l’accès.” Et de poursuivre :
Ce n’est pas une limitation de la liberté ou de l’ouverture, pas plus que ne l’est le fait de payer pour un journal.
Quand elle aborde les questions de sécurité, citant par exemple la protections des enfants sur Internet, elle définit l’ouverture en ces termes : “[elle] ne signifie pas l’anarchie” ni ne s’impose “au détriment de la vie privée ou de la sécurité”. Fondamentale en somme, mais placée au cœur d’une échelle de valeurs stricte.
Ça se corse davantage avec la fourniture de l’accès à Internet. Pour Neelie Kroes, la notion d’ouverture est ici particulièrement “subtile”. Il est vrai qu’en la matière, la position de la commissaire est branlante. Et ce n’est pas nouveau. D’abord habituée à souffler le chaud et le froid, la commissaire a progressivement adopté les éléments de langage des opérateurs (début octobre, ou bien encore en juillet dernier) pour les questions de neutralité des réseaux – vite remplacées par la notion d’“ouverture”. Elle va ici plus loin, se disant “engagée à garantir la neutralité du Net” d’un côté et refusant de l’autre à assimiler ce combat au “bannissement de toutes les offres ciblées ou limitées”. L’ouverture consistant ici pour elle davantage à “être transparent” sur ces offres, et à “laisser aux consommateurs la possibilité de choisir librement et aisément s’ils les souhaitent ou non”.
Pour Neelie Kroes, ce qu’est et doit être Internet ne sera pas fixée et protégé a priori : les usages sont préférés à une loi. Aux consommateur de choisir ! Quitte à ce qu’ils limitent leur propre accès à Internet. Sur ce point, la commissaire se veut d’abord confiante, expliquant que les “environnements isolés” ont “souvent échoué” sur Internet. A ce titre, elle cite l’exemple des ” ‘walled gardens‘ bâtis par les fournisseurs d’accès à Internet dans les années 1990″. Une expression qui renvoie aujourd’hui fréquemment aux empires construits et contrôlés par Apple, ou Facebook. Et qui sont tout sauf désuets ou effondrés.
La commissaire pousse la logique plus loin encore, en expliquant qu’en “pratique, il y a plein de moyen de ‘limiter’ l’accès à Internet que la plupart d’entre nous sont prêts à accepter, et même à utiliser.” En exemple : l’existence de forfaits Internet plafonnés à un certain volume de données par mois et que “beaucoup d’entre nous choisissent volontiers.” Et d’enfoncer le clou :
Et bien très bien. C’est loin d’être de la censure. Si on a seulement besoin de consulter occasionnellement les e-mails en 3G et que quelqu’un est prêt à vous offrir ce service – pourquoi devrait-on subventionner ceux qui consomment des films ?
Une impression de déjà vu ? C’est précisément l’argumentaire déployée l’été dernier en France, à la suite d’un papier d’OWNI sur la fin de l’Internet illimité. Les opérateurs expliquant progressivement qu’il n’était pas normal que tout le monde paye pour les “net-goinfres”, expression sympathique visant les consommateurs de services en ligne gourmands en bande passante (streaming vidéo, jeux vidéo en ligne,… ).
Si le plafonnement des forfaits existe depuis belle lurette sur mobile, dont le réseau est techniquement limité par ses capacités de transport, il n’existe pas en France sur le fixe – mais on peut le trouver ailleurs, comme au Royaume-Uni. Dans ses déclarations, Neelie Kroes ouvre la voie à l’instauration de ces pratiques sur tout Internet – seul son exemple ne se réfère explicitement qu’au marché mobile. Si les utilisateurs le souhaitent, et si les opérateurs s’alignent, l’exception française de l’illimité risque de sauter.
Il en va de même pour le mobile, dont l’accès à Internet est déjà plafonné à un certain volume d’octets. Et réservé à certains pans de l’Internet : le peer-to-peer ou la voix sur IP (service tel que Skype) en étant par exemple exclus. Neelie Kroes a beau rapidement évoquer les travaux en cours du Berec, le régulateur européen des télécoms, sur les pratiques des opérateurs visant à restreindre l’accès à Internet des usagers, elle ne cherche pas à les limiter. L’idée est que les consommateurs puissent “choisir en toute transparence le service qui leur va, accès à un Internet complet compris s’ils le souhaitent.”
Et après tout, s’ils ne le souhaitent pas, l’accès à Internet pourra progressivement se resserrer. Autour de forfaits allégés, proposant uniquement des services populaires : Facebook, Twitter, YouTube,… Là où le bât blesse, c’est que les attentes des consommateurs se conforment aussi à ce qui leur est proposé : ils piochent dans ce qu’on leur offre. Sans forcément porter leur choix en étendard : en France, l’enthousiasme engrangé par l’arrivée de Free Mobile en est la preuve. Or ce sont les opérateurs qui façonnent l’offre commerciale. Une responsabilité qui engage les contours même d’Internet.
Le texte, dont la version définitive n’est toujours pas diffusée, invite la Commission européenne à agir rapidement en faveur de la protection de la neutralité, en déterminant “si des mesures de régulation supplémentaires sont nécessaires” (amendement de compromis 9). Cette évaluation devra se faire dans les six mois suivant la publication des résultats de l’étude du Berec, le régulateur des télécommunications européen, à qui Neelie Kroes a demandé d’examiner les conditions d’accès à Internet dans chacun des États membres, a encore indiqué le Parlement.
En clair, les députés européens, qui n’ont pas l’initiative législative, demandent à l’organe qui la détient, de légiférer. Et si cette injonction n’est pas valable dans l’immédiat, comme le déplore La Quadrature du Net, une association française qui milite en faveur des libertés numériques, elle reste une décision politique forte. Susceptible d’influencer la commissaire en charge du numérique : la résolution n’a aucune force obligatoire mais il paraît difficile, pour préserver la bonne entente institutionnelle, que la Commission ignore le Parlement, dont le vote en séance plénière est fixé fin novembre.
“C’est une réaffirmation de la position du Parlement sur le sujet”, indique-t-on du côté du cabinet de la député européenne Catherine Trautmann, sensible à ces problématiques. “Depuis le Paquet Telecom [ndlr: transposé fin août dernier dans la loi française, et peu contraignant sur le sujet], on demande à la Commission un état des lieux sur la neutralité des réseaux. Sa communication sur le sujet a été extrêmement faible. Depuis le début de son mandat, l’approche de Neelie Kroes a un peu évolué. C’est une façon de lui rappeler ses premiers engagements”.
Fin 2009, en conclusion [PDF] du Paquet Telecom, la Commission européenne déclarait vouloir “maintenir le caractère ouvert et neutre de l’Internet, en tenant pleinement compte de la volonté des co-législateurs de consacrer désormais la neutralité de l’Internet et d’en faire un objectif politique et un principe réglementaire.”
Depuis lors, ses positions, traduites dans l’approche de sa vice-présidente Neelie Kroes, ont quelque peu varié. Soufflant d’abord le chaud et le froid, la commissaire a finalement adopté les éléments de langage des opérateurs (début octobre, ou bien encore en juillet dernier) : le terme “neutralité” a été remplacé par “l’ouverture”, la possibilité de “services gérés”, d’abord mise en doute par Neelie Kroes, a finalement été largement admise. Le tout en faveur d’une position “wait-and-see”, que certains parlementaires ont voulu bousculer.
Les amendements adoptés lors du vote de la résolution réaffirment ainsi l’importance de la neutralité dans la création d’un “écosystème innovant”, “au service des citoyens européens et des entrepreneurs” (amendement 56) et appelle la Commission à “inviter les représentants de consommateurs et la société civile à participer activement et au même titre que les représentants de l’industrie dans les discussions concernant le futur d’Internet au sein de l’UE” (amendement 57). Le texte reconnait aussi plus explicitement l’existence d’atteintes à la neutralité (amendements de compromis 7 et 8) à la différence des dernières positions de la Commission, décrétant qu’il ne s’agissait que de craintes, et non de faits avérés.
“Les amendements adoptés hier étaient plutôt positifs, comparés au premier ‘draft’ [ndlr: papier préparatoire], qui avait la même approche attentiste que la Commission, se réjouit Félix Treguer de La Quadrature du Net.”Le ton est plus politique, même s’il reste limité”, poursuit-il, en référence à “quelques imprécisions” qui subsistent, notamment sur le mobile.
Un flou suffisamment important pour que la Commission déclare ne pas voir la “contradiction” entre la résolution du Parlement européen et sa propre position. Contacté par OWNI, le cabinet de Neelie Kroes fait valoir que les requêtes des députés correspondent “exactement à ce qu’est en train de faire la Commission”.
Illustrations CC FlickR erwan (cc-by-nc-sa) et Loguy.
]]>Sur la fin de l’illimité ou les infrastructures, en particulier la fibre optique, Neelie Kroes s’est montrée très favorable aux “opérateurs en place”. Ultime témoignage de la victoire du lobby des télécoms à Bruxelles, comme OWNI le signalait en juillet dernier.
L’offensive a été particulièrement dure lorsque la commissaire européenne a évoqué, en fin de discours, la préservation d’un “Internet ouvert” – et non d’un Internet “neutre”, qualificatif évacué depuis longtemps des discours au profit du vocable qui préserve le mieux les intérêts industriels. Un “Internet ouvert” dont Kroes a d’abord rappelé l’“importance”, avant de s’attaquer aux initiatives un peu trop citoyennes à son goût.
Tels les Pays-Bas. En inscrivant le principe de neutralité des réseaux dans leur loi, les Néerlandais ont en effet agacé la commissaire européenne, qui leur reproche “d’avancer unilatéralement sur ce sujet”. Et de rajouter, cinglante :
Nous devons agir à partir de faits, et non dans l’émotion; agir rapidement et sans réflexion peut être contre-productif.
Exemple de décisions rapides, irréfléchies et contre-productives : la conservation des forfaits illimités. Neelie Kroes ajoute sa voix au débat lancé en France par OWNI en déclarant :
Exiger des opérateurs qu’ils fournissent uniquement du “full Internet” pourrait tuer de nouvelles offres innovantes.
“Vous connaissez ma philosophie, lance Neelie Kroes, la meilleure façon de fournir un Internet ouvert est au travers de marchés compétitifs”.
Ingrats, les opérateurs ont pourtant trouvé à redire. Sur l’épineuse question des infrastructures et du déploiement de la fibre optique en Europe, ils n’ont pas été pleinement satisfaits par la position de la commissaire, certains la jugeant même de “tout simplement folle”.
Neely Kroes
Neelie Kroes a en effet remarqué la réticence des opérateurs à se lancer dans la fibre, alors même que le cuivre, vecteur de l’ADSL, rencontre encore aujourd’hui un franc succès.
Malheureusement, nous le constatons, pour le moment, les compagnies de télécommunication hésitent à engager des fonds significatifs pour le déploiement de la fibre.
Une remarque accompagnée d’une proposition très commentée par la presse spécialisée : baisser le prix d’accès au réseau ADSL, afin d’inciter les opérateurs à basculer sur la fibre. Présentée comme une “attaque” contre la rente qu’ils entretiennent grâce aux revenus du cuivre, le tableau est pourtant moins rose qu’il n’y paraît. Car si la vice-présidente de la Commission européenne a effectivement évoqué l’éventualité d’une baisse de l’accès au haut débit, celle-ci est bordée d’un ensemble de conditions.
Le premier scénario envisagé par Neelie Kroes aborde certes une “baisse du prix d’accès aux réseaux de cuivre mais celle-ci se ferait “graduellement” et “après un certain temps”. Il se verrait complété d’une seconde approche, qui préserverait les opérateurs qui se montrent conciliants en investissant dans la fibre.
Si le mécanisme est incitatif, il reste néanmoins mesuré, la commissaire européenne soufflant surtout le chaud et le froid. Dans ce même discours, elle affirmait aussi :
J’ai l’impression qu’en l’état, il serait en effet difficile de déployer de nouveaux réseaux fibre compétitifs en parallèle de réseaux de cuivre bon marché.
Soit l’argumentaire des gros opérateurs, qui estiment qu’une diminution des tarifs d’accès au cuivre entraverait l’investissement dans la fibre.
Seul point positif des dernières annonces de Neelie Kroes : la mise en place de deux consultations publiques sur l’état de la concurrence entre gros opérateurs et fournisseurs d’accès “alternatifs”.
Jusqu’au 28 novembre 2011, les différents acteurs du secteurs sont appelés à s’exprimer sur les conditions d’accès des petits opérateurs aux réseaux des concurrents majeurs. La Commission cherche ainsi à uniformiser les relations entre FAI dans les différents pays européens. Particulièrement visés : les coûts imputés aux opérateurs alternatifs pour se raccorder aux réseaux des plus gros, qui varient d’un État à un autre, et que les régulateurs des télécommunications nationaux sont appelés à examiner.
Le net européen est particulièrement scruté en cette rentrée, puisque la Commission a également lancé un grand programme mesurant la qualité du haut débit en Europe. En parallèle de la réflexion du régulateur français, dont l’outil de mesure toujours à l’étude, pose de nombreux problèmes, le dispositif “Samknows” propose à des internautes volontaires de contribuer à l’évaluation. Mais la méthodologie employée demeure pour le moment opaque.
Au menu, le programme rêvé des opérateurs: gestion différenciée du trafic Internet, promotion de plusieurs degrés de qualité de service, mais aussi participation des fournisseurs de services (autrement dit, les sites) au financement des infrastructures. Des recettes qui mettent à mort la neutralité, tout en faisant la nique à des géants comme Google. Portées depuis longtemps par les opérateurs, elles devraient finalement être actées ce jour par la Commission.
Le 3 mars dernier, Neelie Kroes chargeait une quarantaine d’industriels du numérique, dont Steve Jobs et Xavier Niel, de réfléchir à des “propositions concrètes” pour “relever le défi de l’investissement en bande-passante”. Un “défi” qui est la pierre angulaire du discours des opérateurs, qui accusent des services tels YouTube (ou plus globalement le streaming vidéo) de saturer leur infrastructure sans qu’aucun investissement ne soit consenti de la part des éditeurs de contenus. C’est la date du 13 juillet qui a été retenue pour “confirmer ces propositions” à l’occasion d’une nouvelle réunion des big boss du net à Bruxelles. Et c’est Ben Verwaayen, Jean-Bernard Levy et René Obermann qui ont été missionnés pour chapeauter l’opération. Soit les PDG respectifs d’Alcatel-Lucent, de Vivendi (Cegetel-SFR) et de Deutsche Telecom. Un triumvirat telco-centré qui ne laissait rien présager de bon.
Intuition confirmée au vue de la teneur des onze recommandations dressées par le concile, strictement confidentielles, qu’OWNI révèle ci-dessus. Un document qui plaide en faveur d’une uniformisation européenne des “règles du jeu”, autour de “business models bifaces, basés sur des accords commerciaux” (point 6). Comprenez par là l’implication des géants du contenu dans le financement des infrastructures. Un appel à contribution plutôt clair, que l’on retrouve au point 8:
Des modèles de co-investissements seront promus (cela devrait impliquer au moins deux parties).
Victoire des opérateurs donc, également valable du côté clientèle. Les utilisateurs européens devraient en effet se voir confronter prochainement à une politique de gestion du trafic Internet plus systématique. Si ces pratiques existent déjà, elles ne sauraient être tolérées au-delà d’impératifs techniques, du moins dans un cadre respectueux de la neutralité des réseaux. Ce qui n’est manifestement pas le cas de la Commission européenne, aujourd’hui phagocytée par les opérateurs.
5) L’Europe devrait promouvoir une différenciation dans la gestion de trafic afin de promouvoir l’innovation et les nouveaux services, ainsi que pour répondre à la demande de différents niveaux de qualité. Les business models devraient être basés sur une compréhension de l’offre de service en mode best effort.
Cette formule, floue et reprenant mot pour mot le discours d’opérateurs privés, risque de structurer toute une politique publique. On se demande ainsi qui, de ceux-ci, des internautes ou des sites, ont intérêt à “demander” une variation dans la qualité de service… De même, qui a intérêt à une promotion du modèle “best effort” ? Certainement pas l’internaute ou des sites gourmands en bande passante.
Le best effort sous-tend le fonctionnement du réseau depuis ses origines. Il signifie que le contenu d’Internet est délivré dans les meilleures conditions rendues possibles par l’état du réseau à l’instant t. Autrement dit, les opérateurs insistent sur le fait qu’ils font de leur mieux, et que si ça rame, c’est en raison de la structuration d’Internet. Vu le montant des investissements en jeu dans cette histoire, dans la bouche des SFR, Orange et autres, l’argument peut vite tourner au spécieux: “laissez-nous gérer nos tuyaux en paix et si ça ne va pas, c’est le réseau. Demandez à Google d’investir”. Le best-effort a bon dos.
Tout se passe comme si la multitude d’acteurs d’Internet était tout simplement effacée au profit du seul pôle télécommunications. Certaines parties prenantes de la discussion dénoncent l’unilatéralité des documents de synthèses, déclarant qu’ils ne représentent en rien la diversité des points de vue abordés.
D’autres documents, issus de sessions d’un groupe de travail dédié aux “nouveaux business models” vont également dans ce sens. L’intérêt des opérateurs y est brandi sans détours; des corrections, consultées par OWNI, y apportant la dose de diplomatie nécessaire à toute bonne discussion européenne. Il n’empêche: le propos reste le même.
In order to achieve the digital agenda targets, the European Union could should also accurately stimulate the digital agenda create a true level playing field between all digital players by more timely action. objectives in supporting the achievement of a true level playing field between all Internet ecosystem players – including OTTs providers. The diversity of the current national rules is a threat to the Digital Agenda objectives.
Afin d’atteindre les objectifs du digital agenda, l’Union européenne pourrait devrait aussi précisément porter les objectifs de cet agenda. mettre sur un véritable pied d’égalité tous les acteurs du numérique par des actions menées à temps. en encourageant un traitement égalitaire de tous les acteurs de l’écosystème Internet – fournisseurs de services inclus. La diversité des normes nationales actuelles constitue une menace pour les objectifs du Digital Agenda.
Corrections en date du 4 juillet.
Contactée hier par OWNI, Neelie Kroes n’a pas souhaité réagir. “Elle ne va pas préjuger la veille du résultat de la réunion de demain, déclarait un porte-parole. Quoiqu’il en soit, il ne faut attendre aucune conclusion”.
A voir, dans quelques heures.
Image de clé : Neelie Kroes, commissaire européenne en charge du numérique
Illustrations CC FlickR: Sebastiaan ter Burg, abbamouse
Le document (disponible en intégralité au bas de l’article), d’une dizaine de pages, ne diffère pas dans ses grandes lignes des conclusions provisoires qu’OWNI avait réussi à se procurer. En d’autres termes: malgré quelques efforts de reformulation, atténuant le côté plus qu’hypothétique d’une future régulation en faveur de la neutralité des réseaux, la Commission européenne rend un avis terne et décevant, en refusant d’aller plus loin qu’une simple déclaration de principe, dans laquelle les consommateurs passent au dernier plan.
Première orientation, déjà présente dans les documents de travail, la communication est intitulée “The Open Internet and netneutrality in Europe”. Le caractère “ouvert” de l’Internet prévaut donc sur sa neutralité, et ce parti pris reste intact tout au long du rapport. Le vocabulaire se place donc d’emblée du côté des opérateurs -un choix particulièrement judicieux dans le cas du public français, dont le temps de cerveau disponible est actuellement saturé par la campagne de pub d’Orange, qui mobilise des “Open” à tout bout de champs.
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Pour justifier son attentisme, La Commission européenne s’appuie sur deux points. D’un côté, elle avance que certains principes attenant à la neutralité sont d’ores et déjà définis et protégés dans le Paquet Telecom révisé, que les États membres doivent transposer d’ici le 25 mai prochain. Autrement dit, il serait trop bête d’agir avant cette adoption massive, et l’évaluation de ces éventuels effets, que la Commission espère évidemment positifs.
Étant donné que les États membres sont toujours en train de transposer le cadre règlementaire européen révisé des communications électroniques, il est important d’accorder un temps suffisant pour que ces dispositions soient intégrées et pour évaluer la façon dont elles opéreront en pratique.
Dans un second temps, la Commission souligne également que la réalité de certaines pratiques litigieuses des opérateurs, soupçonnés de bloquer ou de limiter des services et des applications sur Internet (tels le peer-to-peer ou la voix sur IP), n’a pas été complètement établie. Tout en signalant la position alarmiste de certains acteurs, qui redoutent la pérennisation et l’extension de ces techniques de bridage à des services comme la TV connectée, l’Exécutif européen estime “ne pas avoir les preuves lui permettant de conclure que ces inquiétudes sont justifiées à ce stade mais qu’elle les gardera en tête dans une perspective d’enquête plus exhaustive.” Taclant au passage le caractère lacunaire de la consultation publique: “de plus, les données récoltées à l’issue de la consultation publique étaient incomplètes ou imprécises dans bien des aspects qui sont essentiels pour comprendre l’état des lieux actuel au sein de l’Union Européenne”. Les 300 et quelques contributeurs apprécieront.
Résultat, des études complémentaires seront menées, notamment au sein du BEREC (Body of European Regulators of Electronic Communications, jeune régulateur européen des télécom), sur l’état du marché de l’Internet fixe et mobile en Europe. Mais une nouvelle fois, la Commission réaffirme sa croyance en les vertus de la libre-concurrence, “considérée comme le meilleur moyen de délivrer des biens et services de haute-qualité et à des prix raisonnables aux consommateurs.” Autant d’éléments qui ne laissent pas présager une position offensive de la Commission en faveur de la neutralité dans l’avenir, ce que regrette la Quadrature du Net par la voix de son porte-parole Jérémie Zimmermann:
Mme Kroes se cache derrière de faux arguments libéraux pour ne pas agir, prétextant que les lois sur la concurrence et la consommation sont suffisantes pour résoudre le problème.
L’association regrette également la marge de manœuvre qui semble être laissée aux fournisseurs d’accès en matière de gestion de trafic, considérée par la Commission comme “largement acceptée [...] afin que les opérateurs assurent une utilisation efficiente de leurs réseaux et de certains services IP.”
“De manière assez honteuse, la Commission croit que la neutralité du Net est compatible avec la différenciation de trafic sur l’Internet public, poursuit la Quadrature. Cela va dans le sens des opérateurs télécoms, qui veulent augmenter leurs marges en discriminant les communications de leurs utilisateurs.”
Une chose est sûre, les internautes et la “qualité de service” n’arrivent qu’au terme du document, à la suite de considérations sur le Paquet Télécom, les pratiques de blocage et la gestion de trafic. Le volet des consommateurs est donc vite expédié, au même titre que la question de la bande passante et de son financement, abordés en une phrase de conclusion qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout:
En parallèle, la Commission continuera son dialogue avec les Etats membres et les acteurs pour assurer le développement rapide de la bande passante, qui réduirait la pression sur le trafic de données
Retrouvez tous les articles sur la neutralité, ainsi que notre dossier (image de Une: Elsa Secco):
- Neutralité: la com’ européenne qui fait pschitt
- Neutralité en Europe: laissez-faire et petits pas
- Internet et la technique: l’univers des possibles
Plus que le retard cumulé, les épreuves qu’OWNI a réussi à se procurer traduisent un profond désintérêt pour la question, dont seule la France semble s’être véritablement emparée. Le contraste est d’ailleurs saisissant entre, d’un côté, le rapport des deux députés Laure de la Raudière et Corinne Erhel, publié hier, qui se démarque non seulement par sa volonté de protéger un Internet “neutre et universel”, mais aussi par ses efforts de pédagogie et de rigueur, et les conclusions provisoires de la Commission européenne, qui déclarent qu’il n’y a pas matière à réguler le réseau, dans la mesure où selon elle, il y a trop peu de preuves d’enfreintes à la neutralité en Europe. Pourtant, ces entraves à la neutralité existent bel et bien: pour les partisans de la neutralité, le déni de la Commission n’en devient alors que plus inacceptable.
Extraits des conclusions provisoires de la "Net Neutrality Communication" de la Commission européenne. L'intégralité du document exclusif à retrouver au bas de l'article.
Premier constat, qu’il est toujours bon de faire: “l’Internet ouvert”, formule toujours pratique quand on souhaite parler de neutralité sans trop y toucher, constelle les conclusions provisoires de la Commission européenne sur le sujet.
Alors que la rapport d’informations français tranche par son engagement sans détour en faveur d’une neutralité des réseaux inscrite et protégée par la loi, le livre blanc européen irait à l’inverse dans le sens d’un “wait and see”: selon la Commission, trop peu d’atteintes à la neutralité ont été relevées en Europe pour lancer une règlementation en la matière, et l’adoption du troisième Paquet Telecom, imminente, devrait suffire à régler les menus écarts constatés.
Estimation des besoins pour des orientations additionnelles
Le cadre révisé sur les communications électroniques de l’Union Européenne contient des provisions qui traitent précisément des problématiques relatives à la neutralité de l’Internet, comme souligné plus haut dans la section 3. Alors que les États Membres transposent le cadre réglementaire révisé dans leur législation nationale, il est important de laisser du temps pour mettre en application ces dispositions et apprécier la façon dont elles s’opèrent en pratique.
Sur cette base, la Commission conclue qu’il serait prématuré à ce stade d’émettre des orientations supplémentaires sur la neutralité de l’Internet. La Commission, avec le BEREC [NDLR: Body of European Regulators for Electronic Communications], est actuellement en train d’étudier un certain nombres de problématiques qui ont fait surface au cours du processus de consultation, en particulier, les barrières au changement [d'opérateur] et les pratiques de blocage et de limitations. Sur la base de preuves qui pourraient être révélées, la Commission pourrait à tout moment dans l’avenir émettre des orientations supplémentaires.
C’est l’Internet mobile qui est au cœur des premières conclusions de la Commission, et plus particulièrement le choix des utilisateurs. L’institution reconnaît implicitement la difficulté de changer d’opérateurs, expliquant que ce basculement doit être facilité, non seulement sur la base de motivations financières et d’exigences de qualité de services, mais aussi dans le cas où un opérateur “impose des restrictions sur des services et applications particuliers”. Mais encore une fois, ces entraves ne sont pas suffisantes pour justifier une action de la Commission, qui croit par ailleurs en la force auto-régulatrice du marché.
Selon elle, le fait, pour un consommateur, de pouvoir facilement changer de prestataires de services mobiles “pourrait aussi agir comme un stimulus pour les opérateurs, qui devraient alors adapter leur tarifs et limiter les restrictions sur les les applications populaires, comme c’est le cas avec les service de VoIP sur les réseaux fixes. Ces facteurs combinés ensemble renforcent un environnement concurrentiel dans lequel l’innovation peut prospérer” En clair, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes européens.
Un constat que ne partagent évidemment pas les partisans de la neutralité des réseaux ou les prestataires de ces services dont l’accès est précisément entravé sur un Internet qui n’en est pas vraiment un.
Souvent citée en exemple, la firme de voix sur IP Skype se bat depuis des années avec les opérateurs pour pouvoir accéder à l’Internet mobile. L’un de ses représentants, Jean-Jacques Sahel, se dit plutôt déçu:
La situation n’est pas belle pour les sociétés de voix sur IP. Selon une étude de Voice over the Net, qui rassemble ces firmes, près d’un quart des opérateurs en Europe interdisent la VoIP. Alors entendre que la Commission européenne dit qu’il n’y pas assez de preuves… Quand jugera-t-elle bon d ‘agir ? Jusqu’où faudra-t-il aller ? Faut-il juste attendre que les restrictions sur Internet soit si étendues qu’il soit finalement trop tard pour revenir dessus ?
L’étude en question analyse les limitations sur l’Internet mobile dans les pays membre de l’Union Européenne. ” On compte seize pays dont on est sûr qu’il y a des restrictions sur la VoIP ou sur Internet en général; douze pour lesquels les informations sont très détaillées”, explique Jean-Jacques Sahel. “Il y a une centaine d’opérateurs mobiles dans l’UE et 28 opèrent des restrictions sur la VoIP”. Plus de 25% qui ne suffisent pas à faire bouger la Commission, ancrée dans une posture de confiance et de laissez-faire à l’égard du marché.
Pourtant, explique encore Jean-Jacques Sahel, il ne suffit pas de donner la capacité aux utilisateurs de changer d’opérateurs pour qu’ils l’actualisent: de nombreuses barrières existent. Sans compter que seul l’accès à certains gros sites pèse dans la balance: “si les opérateurs bloquent Google ou Facebook, alors oui, les utilisateurs vont certainement partir”, explique Jean-jacques Sahel. “Par contre, Skype, pas vraiment. Et tout le reste… Qui va changer [d'opérateurs] pour tous les autres sites ?”
L’attitude de la Commission européenne exaspère donc, et pas seulement les sociétés lésées. Les partisans de la neutralité de tout bord regrettent la faiblesse de ces réflexions. Côté français, on ne peut que constater l’avance de la réflexion sur la neutralité dans les plus hautes instances de l’État, en espérant que ce mouvement entraîne celui de Bruxelles. Ce n’est vraiment pas gagné, car en marge de la confiance (naïve ?) de la Commission dans le marché, les autres États membres semblent peu au fait de la question. Sur les 27, seuls douze ont répondu à l’appel à consultation publique lancé le 30 juin 2010, à l’occasion de l’annonce du livre blanc.
A l’heure qu’il est, une “Net Neutrality Communication” circulerait entre les différentes directions générales de la Commission, mais cela ne semble pas modifier en profondeur la teneur de sa position. D’aucuns soulignent aussi que le lobbying rodé de certains gros opérateurs aurait été particulièrement efficace.
Dans leur rapport rendu hier, les députés français Laure de la Raudière et Corinne Erhel évoquaient la possibilité d’une publication du livre blanc fin mai. Il y a quelques jours, le cabine de Jonathan Todd, porte-parole du DG Stratégie numérique rattaché à Neelie Kroes, refusait de communiquer avant le 19 avril, “date à laquelle la Communication sur la neutralité de l’Internet devrait être adoptée”.
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Retrouvez tous les articles sur la neutralité, ainsi que notre dossier du jour (image de Une: Elsa Secco):
- Pour un Internet “neutre et universel”
- Internet et la technique: l’univers des possibles
Telle est l’ambition de Neelie Kroes, Commissaire européenne chargée de la société numérique. Dans un discours, bref et ô combien percutant, prononcé lors du Forum d’Avignon le 5 novembre dernier, elle a fustigé les « gardiens de contenus » et les intermédiaires, « condamnés à s’adapter ».
Voici, entre les lignes, les points forts de son intervention.
1. Neelie Kroes prête à revoir le système du droit d’auteur, Nathalie Silbert, Les Échos, 5 novembre 2010
2. Bruxelles s’attaque à la gestion des droits d’auteurs en Europe, AFP, Le Point, 5 janvier 2010
3. EU Digital Agenda VP: need to “sideline content gatekeepers”, Jared Moya, Zero Paid, 5 novembre 2010
4. Hinting at a copyright regime that cuts out the middle man, Dana Blankenhorn, ZD-Net, 11 novembre 2010
5. Le discours de Neelie Kroes [pdf]. Sur Electron Libre
6. Europe. L’agenda numérique des dix prochaines années, M.B., ADI, 24 juin 2010
Le forum d’Avignon
7. Forum d’Avignon 2010. Sur le site du ministère de la Culture
8. Le gotha des médias se réunit pour parler du web payant, Johan Weisz (StreetPress), OWNI, 10 novembre 2010
9. Au Forum d’Avignon, nous avons entendu… Regards sur le numérique, Antoine Bayet, 5 novembre 2010
10. Le Forum d’Avignon 2010 [vidéo]. Sur Arte
11. L’Europe et la société de l’information planétaire. Rapport au Conseil européen par Martin Bangemann. Bruxelles : 1994
Évoqués aussi
12. David Cameron annonce une réforme du droit d’auteur britannique, Le Monde, 5 novembre 2010
13. UK copyright laws to be reviewed, announces Cameron , BBC, 4 November 2010
14. Multi-territory licensing audiovisual works in the European Union. Sur le site KEA
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Billet initialement publié sur Paralipomènes ; images CC Flickr racineur
]]>L’espace de quelques heures, ces mêmes fonctionnaires ont subi 320 attaques en tout genre, censées préfigurer un assaut massif contre les connexions transfrontalières. Le tout pourrait sembler au mieux anecdotique, au pire insignifiant (après tout, rien d’illogique à se préoccuper de la protection des réseaux “officiels”) si les États-Unis n’avaient pas impulsé une nouvelle stratégie en la matière. Matérialisée dans le Cyber Shockwave (février 2010) ou le Cyber Storm (septembre), exercices aux alias millénaristes inscrits en lettres rouges sur les breaking news défilantes de CNN, cette nouvelle doctrine a-t-elle franchi l’Atlantique pour atteindre nos rivages?
Contacté par OWNI, Ulf Bergstrom, le porte-parole de l’Enisa, invoque le Digital Agenda diligenté au mois de mai par Neelie Kross, la Commissaire européenne à la société numérique, et tient à éclaircir certains points:
Nous voulions travailler avec différentes hiérarchies, différentes structures, différentes procédures, d’où l’idée d’un exercice paneuropéen, afin d’améliorer notre coopération à l’avenir. Après la cyberattaque d’envergure contre l’Estonie en 2007, un consensus est en train d’émerger sur la nécessité d’une collaboration entre les Etats membres de l’Union. D’ailleurs, le Traité de Lisbonne encourage précisément le travail d’équipe sur ce type de problématiques, parce que la technologie ne s’arrête pas aux frontières.
Mais au moment de comparer l’initiative européenne à ses aïeules américaines (dans le petit monde de la cyberguerre, la temporalité est sensiblement différente de la réalité), Bergstrom prend les devants:
Le Cyber Storm est un exercice national, tandis que Cyber Europe est un exercice paneuropéen. C’est un exercice opérationnel, pas le nôtre; il implique des acteurs industriels, pas le nôtre; il teste la capacité de réponse des systèmes, pas le nôtre; il arrive à maturité, avec un budget de plusieurs millions de dollars, quand le nôtre est une première financée à hauteur de 100 000 euros.
Dans son bilan final, l’Enisa se félicite du déroulement des opérations, estimant qu’il s’agit d’une “étape-clé” dans l’élaboration d’une véritable stratégie européenne de cyberdéfense, concertée et surtout, budgétée.
C’est là que le bât blesse. Doté d’un budget légèrement inférieur à huit millions d’euros (ce qui représente 60% du budget de la CNIL, estimé à 13 millions d’euros), l’Enisa ne dispose aujourd’hui que d’un – faible – pouvoir de recommandation. Basé dans les faubourgs d’Héraklion, à 2396 kilomètres du Berlaymont, le siège de la Commission, ce “centre d’excellence” emploie aujourd’hui 44 personnes, auxquelles il faut ajouter une vingtaine de spécialistes externes et d’intérimaires.
Ulf Bergstrom le concède, cette année, il ne s’est rendu “que deux fois à Bruxelles”, et pas forcément pour porter la voix des experts en SSI (systèmes de sécurité de l’information). Mise sur pied en 2004, l’Enisa devait en effet arriver au terme de sa mission en 2009. Son bail a finalement été prolongé jusqu’en mars 2012, mais son futur proche s’inscrit en pointillés: demain, l’agence sera peut-être phagocytée par Europol, la police criminelle intergouvernementale.
Pour Nicolas Arpagian, professeur à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et auteur d’un Que Sais-je (si, si) sur la cybersécurité, l’Enisa s’inscrit dans une logique européenne particulièrement floue autour des ces questions:
[L’Enisa] relève du même système de pensée que le Sommet mondial sur la société de l’information. Alors qu’il devait être un Kyoto du numérique, celui-ci a seulement prouvé qu’il était une hybridation de la Foire de Paris. A Genève en 2003 comme à Tunis en 2005, on a vu des seconds couteaux européens prendre la parole à quelques mètres seulement des stands des fabricants de solutions de sécurité.
La question de son rôle se pose d’autant plus que le G8 a été le premier à développer un outil de veille 24/7 (PDF), sorte de SAV des puissants. Dans ces conditions, sans garanties sur leur avenir, dès 2008, les fonctionnaires de l’Enisa, et c’est bien normal, se sont plus préoccupés de leur reconversion professionnelle que des dossiers qu’ils portaient.
Pourtant, de source officielle, l’Enisa ne se conçoit pas comme une vulgaire hotline destinée à déclencher des alertes Amber et signaler la disparition de quelques lignes de code ou d’une poignée d’informations bancaires. “A ceux qui pensent que les cyberattaques sont un concept abstrait, je rétorquerai que chaque année, des millions de personnes sont directement victimes de ces pratiques”, déclarait Neelie Kroos il y a quelques mois.
Ni une ni deux, quelques semaines avant l’exercice Cyber Europe, un expert américain s’était risqué à chiffrer le coût d’une attaque massive contre les infrastructures informatiques de l’Union européenne: il avait avancé le chiffre de 86 millions de dollars, auquel il adossait 750 hackers payés à plein temps. C’est 10 fois le budget de l’Enisa, avec un effectif 1700% plus important.
Game over?
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